SPEAK NO EVIL (NE DIS RIEN) / 2022

Réalisé par Christian TAFDRUP
Avec: Morten Burian, Sidsel Siem Koch, Fedja van Huêt, Karina Smulders

Ce film là porte particulièrement bien son titre. Et à bien des égards. Car ma première réaction après l'avoir vu a été de ne pas vouloir en parler. Je pense qu'il s'agit du premier film à m'avoir fait cet effet depuis une petite dizaine d'années. Rester sans voix, abasourdi, presque tétanisé, voilà ce que ce "Ne dis rien" nous propose en nous disant tout. Tout commence par ces deux familles avec qui on fait connaissance et qui semblent (en apparence du moins) parfaitement banales. Nous allons les suivre tout au long de leur week-end, entre fêtes et découvertes tout en partageant avec eux cette tranche de vie qu'ils vont mutuellement se proposer.



Mais alors, qu'est-ce qui pourrait être si traumatisant dans ce que je viens de décrire? Et bien c'est très rapidement qu'on comprend où se trouve le génie de ce film. Via des situations totalement banales, on se surprend à ressentir une tension qui augmente au fur et à mesure que les minutes passent, sans trop comprendre pourquoi (au début en tout cas). Le spectateur se tend, se crispe, et bascule lui aussi dans le cauchemar en même temps que cette famille normale qui va vire la pire expérience de sa vie.

Difficile de parler de ce film. Difficile d'évoquer les sentiments qui m'ont étrillés à la toute fin et qui font que je pense ne jamais l'oublier. Surtout sans en éventer les tenants et les aboutissants (même si de toute façon on n'en éprouvera pas vraiment l'envie). Christian Tafdrup réussit en tout cas l'exploit de nous livrer un film qu'on qualifiera de chef d'oeuvre, tout en le détestant pour tout le mal qu'il nous aura fait. Ne vous attendez pas à un déferlement de violence (en tout cas pas graphique, sauf à la toute fin avec une scène gore horrible) ou des effets faciles à tous les coins de pellicule, il n'y en aura pas. Juste un quotidien qui pourri peu à peu jusqu'à atteindre un point de non retour et nous dévoiler un pot aux roses fanées et aux épines terriblement piquantes. On commencera par un miroir qu'on va nous braquer directement en pleine poire. Toute famille aura au moins une fois dans sa vie émis une critique envers une autre car elle n'a pas la même façon de faire. Nous nous sommes tous un jour sentis meilleurs que d'autres parce qu'on croit détenir la vérité, la vraie. De ce constat, le film nous entraine bon gré mal gré vers une vision de la parentalité qui fera aussi office de poil à gratter pour tous les parents devant leurs écrans. Dois-je toujours privilégier le besoin de mon enfant (même s'il n'est pas essentiel) par rapport à celui de mon couple ? Est-ce amoral de penser à soi parfois, de ne pas s'oublier. Et là, à la toute fin, le réalisateur nous assène le coup de grâce. Il nous montre la propension qu'à l'humain à se laisser emmener jusqu'à l'échafaud; cette faculté à accepter n'importe quoi et à se faire à un destin qu'il sait déjà être tragique. Malin, très malin, mais en même temps terriblement douloureux, jusque dans la chair, sa propre chair puisqu'il s'agit d'enfants dont on parle. Comment nous montrer nos pires faiblesses en utilisant ce qui nous fera le plus mal. Car oui, à la fin, ce miroir qu'on braque sur nous fini par se briser et fatalement, on se coupe...